Les prisonniers espagnols de 1810

BARAILON et les prisonniers espagnols

à l’étape de GOUZON en 1810

De nombreuses épidémies se sont manifestées au cours des années 1786-87-88 dans tout le Bourbonnais, spécialement dans l’élection de Montluçon. Nous savons comment les soins étaient organisés dans la généralité de Moulins sous la direction de Jean François Barailon ; celui-ci avait été nommé médecin en chef de celte généralité le 31 janvier 1786 « pour le traitement des épidémies ». Il publia plusieurs « instructions » sur les maladies les plus fréquentes dans la région. En 1789. Barailon donna un mémoire sur « l’établissement qui subsistait dans la généralité de Moulins pour le traitement des épidémies » Ces mémoires, relatifs à des questions médicales, ne nous font pas oublier tout ce que Barailon a publié sur les monuments « celtiques » du pays de Combrailles. Nous possédons également une correspondance qu’il entretenait avec des médecins traitants, spécialement avec Antoine Deplaigne de Montluçon.

Après avoir siégé aux différentes assemblées nationales et s’être retiré à Chambon, il n’abandonna pas pour autant ses préoccupations médicales, s’intéressant jusque dans les dernières années de sa vie à la propagation de la vaccine, aux épidémies locales. Nous allons le voir à Gouzon (ancienne ville close, enclave bourbonnaise dans la Marche Commune du canton de Jarnages, arrondissement de Guéret, située sur la RN 145 de Guéret à Montluçon, prodiguant pendant tout un mois d’hiver rigoureux ses soins à des prisonniers espagnols, décimés par une épidémie, et transportés par convois dans des conditions déplorables.

C’est d’un  rapport qu’il adresse au sous-préfet  d’Aubusson le 13 avril 1810, que nous tirons l’essentiel de cette communication.

Dans le dernier bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin Mr. Pierre Saumande a étudié la « sinistre aventure des prisonniers espagnols en Limousin en 1809 », rappelant que « lors de la guerre d’Espagne les armées françaises avaient fait un grand nombre de prisonniers. Pour limiter les risques d’évasion il fut décidé de les interner loin de la frontière des Pyrénées et c’est ainsi que d’importants convois prirent la route pour le centre de la France vers Châteauroux et Moulins » Parmi ces prisonniers fatigués par les marches, mal nourris, enfermés dans des locaux insalubres, beaucoup tombèrent malades et la contagion gagna la population en maints endroits. L’épidémie apparut en 1808 et ne semble pas avoir disparu avant 1812.

Dans son rapport Barailon nous apprend qu’il a donné des soins aux Espagnols sur « l’invitation de M. le sous-préfet »du 18 janvier au 19 février 1810 soit pendant 32 jours durant lesquels « il a passé 21 convois de prisonniers composant en total 1056 hommes ». Il précise que « sur ce nombre 425 ont été annoncés comme malades » mais que chaque jour quantité d’autres le devenaient.

Ces convois suivaient la route de Guéret vers Montluçon, on sait que dans cette ville de nombreux prisonniers espagnols furent employés comme manœuvres pour creuser le Port du canal du Berry.

Barailon constate que tous les prisonniers étaient enrhumés quelques-uns crachaient le sang, plusieurs avaient des coliques «le dévoiement, la dysenterie». Il note que quantité de prisonniers par suite d’engelures avaient des plaies aux pieds, que ceux-ci étaient parfois entièrement gelés et a remarqué qu’à leur arrivée, la fièvre les poussait à briser «avec précipitation la glace pour se procurer de l’eau». Toutefois Barailon « n’a reconnu chez aucun les fièvres contagieuses dont leurs compatriotes étaient atteints l’année précédente ».

Il met sur le compte de la fatigue et surtout du froid « qui sévissait avec violence» la propagation de l’épidémie chez ces prisonniers, remarquant fort judicieusement que la rigueur de la saison était d’autant moins supportable pour ces hommes habitués à un climat chaud. Barailon nous apprend « qu’après un trajet de longue durée sur des voitures à bœufs ils étaient logés dans des lieux froids dans la plupart des étapes, que la crainte des maladies contagieuses de l’an passé (1809) avait déterminé les autorités à placer les prisonniers loin des villes…

A Gouzon les malades étaient logés sous le hangar de la Tuilerie de Périgord situé à une lieue de Gouzon.

Enfin le rapport de Barailon indique que furent inhumés à Gouzon deux malades du premier convoi, et un du second., L'un des deux premiers etait mort au cours du trajet et les deux autres «avaient expiré peu d’heures après leur arrivée. Parmi les malades des convois suivants plusieurs agonisants ont succombé dans le trajet de Gouzon à Montluçon

Le meilleur remède, Barailon l’affirme, c’est la distribution d’habillements complets          «provenant des dons des citoyens de Chambonf Avant de préciser les espèces de remèdes distribués  et les soins chirurgicaux prodigués aux prisonniers, Barailon conclutQle peu de temps de séjour des malades à Gouzon, la froideur du local qu’ils occupaient n’ont pas permis de traiter toutes leurs affections; il faut dire que diverses circonstances ont privé les malades du premier convoi de tous les secours de l’artf.

Barailon ne manque pas de préciser le traitement Qqu’il faisait administrer» aux prisonniers espagnols  « A leur arrivée on donnait aux plus fatigués du vin cannellé ou du vin de genièvre, et au départ j’en faisais, dit-il, distribuer à tous les malades. Pour ceux atteints de coliques, de dévoiement, de dysenterie, on usait de diascordum…, de laudanum liquide f. Les plaies étaient pansées avec l’extrait de saturne et, ajoute Barailon pendant tout le temps de leur séjour, ils avaient à leur disposition de la tisane d’orge qui leur était très utile en raison de la grande soif qui les tourmentait f…Il est ensuite indiqué avec précision le nombre de malades ayant reçu les divers remèdes ainsi que la manière dont ces remèdes étaient préparés.. Le vin de genièvre était fait avec des baies concassées de cet arbuste, infusées pendant plusieurs jours et le vin de cannelle était du vin de genièvre auquel   « on ajoutait une once de cannelle en poudre pour trois pintes ».

Barailon indique dans son rapport qu'il a « mis dans la distribution des médicaments» la plus sévère économie, et finalement, fait un relevé des dépenses engagées. Il précise qu'il a acheté 48 pintes de vin vieux chez Geoffroi aubergiste à Gouzon, que les baies de genièvre ont été ramassées par des femmes de Gouzon, la cannelle fine en poudre a été prise chez Fouchier pharmacien à Guéret, qu'enfin, étant autorisé, il s'est fait assister part M Goumy, chirurgien à Gouzon du 21 janvier au 9 février, qu'il est donc dû à ce dernier dix-neuf journées

On ne saurait passer sous silence deux autres faits relatés par Barailon : d’une part il indique dans son rapport qu’il a terminé l’épidémie de Saint Loup et qu’il a d’autre part, sur l’indication de M le Maire de Gouzon traité plusieurs indigentsf. L’un d’eux Jean Rainaud (âgé de 46 ans )atteint de fièvre méningogastrique par suite de soins qu’il avait donnés aux prisonniers espagnols. Un second Laurent Néret (âgé de 52 ans) présentait un catarrhe pulmonaire négligéf. Le premier fut soigné avec un paquet d’émétique et le second prit deux onces de kinkina et quatre grains d’extrait gommeux d’opium, on lui appliqua également deux vésicatoires; Barailon ne manque pas d’indiquer avec une satisfaction légitime, que ces deux malades se sont rétablis.

Extrait du texte de Mr. A. Guy communiqué aux" Amis de Montluçon" le 09/06/1989

 

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