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Ecrits d'Henri BUC

Travaux d'Henri BUC

Les Cassini, père et fils, astronomes à la cour du Roi de France, accomplirent une des grandes œuvres de la fin de l’ancien régime. Ils établirent une carte de la France, en 180 feuillets, fondée sur des relevés géodésiques très précis pour l’époque. Le feuillet qui concerne la région de Gouzon, établi entre 1759 et 1761, manifeste une évidente singularité : Le Berry, au Nord, la Marche au Sud-Ouest, la Combraille au Sud-Est, s’effacent autour de Gouzon pour laisser entre-elles un espace clos, qui comprend La Celle, Trois-Fonds, Réville, Lussat, Fleuraget et le Bois des Landes. De plus cette enclave est clairement indiquée sur la carte comme faisant partie du Bourbonnais, dont le cœur, situé au Nord-Est de la Combraille, ne dépasse pas Treignat, Lamaids, Argenty ou Marcillat. Nous sommes donc du Bourbonnais ! Et le sort singulier de cette enclave au cours du Moyen Age constitue vraisemblablement la grande originalité de l’histoire de notre bourg.

La première mention de Gouzon connue à ce jour -on disait alors Gozom ou Gouzonium- rapporte un don fait en 1187 par Alard de Gouzon aux religieux de l’abbaye de Bonlieu, l’usage de son bois des Landes. Mais l’acte le plus marquant de cette modeste baronnie date de 1230 : Guillaume de Gouzon fait hommage au sire de Bourbon, le reconnaissant pour son suzerain. Il renouvelle cet « aveu » à sa majorité en 1242-1243. Or toute la région environnante échappe à l’époque à la tutelle bourbonnaise. Comment pouvons-nous expliquer cette singularité ?

Il nous faut faire un détour par l’histoire globale de la France du XIIe et du XIIIe siècle, et examiner ce que fut alors le destin des provinces mentionnées sur la carte de Cassini cinq siècles plus tard, Combraille,

Haute Marche, Berry et Bourbonnais. Pour ce faire, je me fierai aux écrits des érudits régionaux, l’abbé Peynot d’abord, Michel Guillemain pour l’histoire spécifique de l’enclave, et Guy Devailly pour le récit des démêlés des rois de France et des Plantagenêt dans la région.

L’événement majeur qui va affecter notre petite région c’est la répudiation d’Aliénor d’Aquitaine par son époux Louis VII, roi de France. Il l’avait épousée en 1137. Il se sépare delle en 1152, le mariage ayant été déclaré nul par l’Eglise la même année. Derechef, Aliénor épouse le jeune Henri Plantagenêt, qui, deux ans plus tard, devient roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II. Le voici qui tient en France, outre l’Aquitaine, le comté d’Anjou, le Bas Berry et la majeure partie de l’Auvergne, Une fois qu’il aura établi fermement son autorité en Angleterre, il va affirmer ses prétentions sur toute la région qui nous entoure.

Regardons la situation au tout début du XIIIe siècle, alors que Philippe-Auguste a succédé à son père.

Dans le parti adverse, Richard Cœur de Lion, vient de périr au siège de Châlus, dans l’un de ces nombreux affrontements qui marquent la période. Jean sans Terre lui succède. La situation est critique pour le parti français : Le comté de la Marche a été vendu depuis 23 ans au roi d’Angleterre. L’héritière, Isabelle, vient d’épouser Jean sans Terre. La Combraille n?est plus le vaste ensemble qui dominait la région un siècle auparavant. Mais la terre de Chambon fait maintenant partie du comté d’Auvergne, qui depuis le second mariage d’Aliénor, a été englobé dans l’état Anglo-angevin. Le Berry qui s’étend jusqu’à Boussac a fait l’objet d’incessantes batailles, mais, repris par Richard Cœur de Lion, il est alors sous la dominance des Plantagenêt.

En fait le roi de France ne dispose que d’un seul ancrage ferme dans la région, le Bourbonnais. Un féal

Champenois de Philippe Auguste, Gui de Dampierre, vient d’épouser Mathilde, duchesse de Bourbon. Il combat pour son roi en Auvergne, et il vient de se voir attribuer par celui-ci, à l’issue d’un coup fourré dont Philippe-Auguste est coutumier, la châtellenie de Montluçon, limite sud-ouest de l’emprise royale dans notre région.

Revenons à la chronique incertaine de notre histoire locale. Selon Michel Guillemain, Gouzon se serait d’abord détaché de la domination de Chambon. La seigneurie serait en effet entrée dans la mouvance des seigneurs du Bas Berry, à la fin du XIe siècle, tout comme Boussac et Montluçon. Les seigneurs de Gouzon

se seraient inféodés aux châtelains de Montluçon au siècle suivant, soit entre 1170 et 1188, lorsque la châtellenie fit l’objet d’âpres contestations entre Plantagenêt et vassaux du roi de France, soit un peu plus tard, lorsque Gui de Dampierre y prit le pouvoir. S’il en fut bien ainsi la bourgade, immergée en territoire anglais aurait constitué au début du XIIIe siècle un fragile avant-poste en terre anglaise.

En quarante ans, la situation régionale allait tourner à l’avantage des Capétiens: Gui de Dampierre fait allégeance au roi de France en 1203 ; il va tour à tour conquérir le Bas-Berry, la Combraille et l’Auvergne. La bise-bille s’installe dans le même temps en Marche : Les Lusignan ont récupéré le Comté ; L’un d’eux a même épousé la veuve de Jean sans terre en 1219 ; ils hésitent dans leurs alliances, repassent finalement dans le 38 camp des Anglais, mais, battus à la bataille de Taillebourg aux côtés de ces derniers, ils vont faire soumission au roi de France, Louis IX, en 1242.

La situation de la région allait cependant rester très instable. Il n’est pas impossible d’avancer que Philippe Auguste et ses successeurs aient créé une ligne défensive au sud-ouest de leur possession la plus sûre, le Bourbonnais, en y incluant éventuellement l’avant-poste gouzonnais. C’est ce que soutient un érudit, spécialiste de l’étude de l’origine des noms de lieux, qui a cru pouvoir relever dans notre enclave plusieurs noms à désinence militaire (Les Barres, le Tureau du Guet, la petite Garde, la grande Garde …), indicatifs à ses yeux de l’existence d’une ligne de surveillance tournée vers le Sud-Ouest.

On conçoit en tout cas l’intérêt pour les Bourbons de constituer et de garder le contrôle d’une enclave, pour cette raison purement militaire. Les secousses nouvelles qu’allaient imprimer à notre région la Guerre de Cent-Ans, le passage des bandes de routiers sous Charles V et Charles VI, les nouvelles amputations du Royaume de France au traité de Brétigny, allaient périodiquement renforcer le sentiment d’insécurité. En 1360, Montluçon se considère toujours comme ville frontière. Son château, ses remparts sont construits entre 1366 et 1410. C’est peut-être à la même époque que Gouzon allait se doter de fossés et de murs. Les sujets de

Montluçon se voient attribuer une charte en 1242. Peu de temps après, en 1279, Gui de Gouzon accorde à son tour à ses sujets des lettres de franchise, gagées par un des grands vassaux des Capétiens en Berry, Henri de Sully. Toute la géopolitique de la région vient d’être bouleversée. Auvergne et Combraille ont fait retour au giron royal en 1271. Et, l’année suivante, Agnès de Bourbon, en épousant le dernier fils de Louis IX, vient de soustraire définitivement le Bourbonnais au Berry. La charte accordée à notre bourg sera confirmée en 1337, cette fois-ci avec l’aval explicite de Louis, duc de Bourbon. L’enclave de Gouzon suit donc en cette période le destin du Bourbonnais. Et ce à travers les descendants directs de ses premiers seigneurs, lignée que l’on peut suivre jusqu’en 1535.

Mais il est une seconde raison, autre que militaire, pour justifier l’intérêt que les Bourbons portaient à notre enclave. C’est le contrôle des voies de communication, en tout premier lieu celui de la grande route des pèlerins, dite aussi route des Allemands qui depuis la haute Antiquité conduisait d’Autun à Limoges. À l’origine, les voies romaines évitaient notre région. Il semble que le faisceau de routes qu’empruntaient les pèlerins passait par Moulins, Montluçon ou Néris, puis Quinssaines, Lamaids et Nouhant, selon un tracé très proche de celui de la nationale 145. Monsieur Piboule avance qu’à Auge, la route bifurquait initialement vers le Sud vers Ahun, et St Léonard. Un tracé plus direct passant par l’enclave et menant à Guéret aurait progressivement pris le dessus. Il n’est pas déraisonnable de supposer que ce second tracé aurait été sécurisé par le passage en notre ville-murée, petite cité bourbonnaise. Gouzon est dit ville de marchés à la fin du Moyen Age, ce qui sous- entend péage à l’entrée et à la sortie de l’enclave ou du bourg. Gouzon même était un petit carrefour de chemins qui préfiguraient les routes d’aujourd’hui. L’entretien de la route royale, en particulier de ses ponts, est un constant souci au cours des siècles suivants. Elle est à la fois un atout, favorisant les foires et les marchés locaux, comme les prélèvements aux péages pour le seigneur, et une fragilité, le passage des troupes n’étant pas toujours une sinécure !

C’est avec cette situation en tête qu’il nous faut lire le texte de la charte accordée aux habitants de ladite ville et faubourgs dudit Gouzon, que l’on trouvera sur le site de Gouzon. Elle les exempte des impôts les plus lourds, leur accorde droits de pêche et de chasse, en ne leur imposant comme contrainte que de respecter les chasses gardées du seigneur. On note l’existence de communaux, vraisemblablement les mêmes que ceux qui seront partagés à la fin du XIXe siècle, à la lisière du bois des Landes, et l’arrangement qui préside à l’entretien des fortifications de la ville. On peut avancer que ces franchises libérales visent, comme dans bien d’autres petites seigneuries, à s’attacher des sujets capables de maintenir la sûreté de l’accès routier et la solidité des fortifications, peut-être aussi le défrichement partiel des bois et landes qui occupent encore les deux tiers de l’enclave sur la carte de Cassini. Pratiquement, le seigneur de Gouzon est vassal du duc de Bourbon. Dans l’enclave, la coutume du Bourbonnais a force de loi. Et, pour l’appliquer, depuis le début du XIIIe siècle un prévôt et un bailli siègent à Gouzon.

Nous devons attendre quelques décomptes de leveurs d’impôts du Bourbonnais pour disposer, vers 1440, d’une vue imprécise du bourg et de l’enclave. Les barons locaux, les Brandon, les Malleret, sont seigneurs tout à la fois de Gouzon et de Lussat, puis le fief est démembré en 1505. Gouzon est ceint de murs et de fossés, et comme nous le verrons dans une prochaine communication, il ne nous est pas très difficile de reconstituer le tracé de son enceinte et l’emplacement de ses portes. La route principale longe en fait ses murs

par leur flanc sud et par l’actuel champ de foire. Nous ignorons où était situé son modeste château. Notons 39 que les tours et tourelles qui subsistaient au début du XXe siècle sont implantées dans le bourg, non à la périphérie. L’église paroissiale dédiée à Saint Martin occupe alors l’emplacement actuel du restaurant le Sully, où l’on devine encore son implantation. Une chapelle, dédiée à Notre-Dame correspond à l’église actuelle, ou du moins à sa partie la plus ancienne. Ce singulier édifice a fait l’objet d’une étude fouillée de la part de Madame Andrault. Il ne comportait au Moyen-Age que les trois travées de la nef actuelle, murées au nord au niveau de l’entrée du chœur. Toute la superstructure de l’église actuelle, combles et clocher, le chœur,

la sacristie, la chapelle du transept n’altéraient pas alors la pureté de ses lignes. Cette architecture globale, très simple, n’est pas sans rappeler celle des églises des Templiers, comme Blaudeix. Les trois travées aux voûtes délicatement nervurées en font un très beau représentant du gothique limousin. Mais cette chapelle Notre-Dame se singularise par rapport à ses parentes templières par le très grand soin appliqué au décor, aussi bien dans la facture des deux portails ouest et sud, que dans la magnificence de la rose octolobée qui domine son entrée principale. La construction de cet oratoire particulièrement soigné sur la grande place de notre bourg marché date du XIIIe siècle. On y verra donc certes un témoignage de dévotion mais aussi un acte politique, l’affirmation de l’emprise des seigneurs bourbonnais sur la ville. Cette deuxième préoccupation se manifeste peut-être discrètement dans la décoration de la clé de voûte de la troisième travée : une naïve vierge à l’enfant est entourée d’un cordeau fleurdelisé, indice peut-être de l’attachement du commanditaire au royaume de France.

Le bourg médiéval se caractérise aussi par l’implantation d’un prieuré, dépendant du bourg de

Lesterps, en Poitou. Les chanoines de Lesterps désigneront d’ailleurs pendant longtemps les curés de la paroisse. Ce sont semble-t-il des Augustins qui possèdent tout le terrain au sud de la chapelle Notre Dame. Il ne serait pas étonnant si d’autres indices de la présence de religieux pouvaient être relevés aujourd’hui encore.

Pour paraphraser M. Guillemain, la petite ville de clousure avait donc murailles, portes, pont-levis et fossés. Les rues y portaient des noms ; on y trouvait un hôpital ; les bouchers y avaient leur étal. Ajoutons que le pain était cuit au four banal. (L’emplacement de ce four changera d’ailleurs au cours du temps). Même à l’intérieur des murs, la densité de la population était faible. En 1569, on dénombrera ainsi dans le bourg de Gouzon 76 feux, 60 feux dans la paroisse hors la clôture, et 72 feux pour Lussat, soit en tout environ 700 personnes. On possède cependant moins de renseignements sur l’évolution postérieure de l’enclave jusqu’à la

fin de l?Ancien Régime. La population semble décliner sérieusement dès la fin du XVIe siècle, victime peut être comme Chénérailles des violences lors des guerres de religion. On perd aussi en partie la filiation de ses seigneurs successifs ; mais même si les fiefs de Gouzon et Lussat sont séparés, même si celui de Lussat est fortement morcelé, l’enclave bourbonnaise persiste. Elle a trois moulins sur la Voueize, un sur la Tardes. Elle

garde sa coutume. Si l?on en revient à la reconstitution minutieuse du tracé de l’enclave proposée par

Monsieur Guillemain à partir de la carte de Cassini, on constate que ce tracé ne s’éloigne guère des limites de nos communes actuelles. On notera aussi la permanence de lieux-dits qui marquent la sortie de son territoire, comme l’arbre de la Marche sur la route de Chénérailles., ou la présence de telle borne, qui signalait l’entrée dans l’enclave, au voisinage de Périgord.

Plus que jamais, la prospérité de notre bourg dépend de l’état des routes. À la fin de l’Ancien Régime, un programme ambitieux de rénovation, menée par la toute nouvelle institution des Ponts et Chaussées inclut la grande route d’Autun à Limoges. Les routes secondaires, qui généralement ne figurent pas sur la carte de Cassini, se développent autour de Gouzon. Sont mentionnées celle qui mène de Chénérailles à Evaux, l’ancienne route qui mène à Boussac par Pradeau et Trois-Fonds, la route de La Celle, et le chemin qui par Saint Loup mène à Bonlieu. La rénovation du réseau de routes n’est sans doute pas étrangère à la décision, prise en 1782 d’abattre les restes des remparts, après adjudication des fossés. Nous y reviendrons dans un prochain texte.

Conclusion

Cet écrit n’est rien d’autre qu’une compilation faite par un amateur. Elle est très incomplète, et ne rend pas également justice à tous les écrits des historiens locaux. Elle est aussi centrée sur la commune de Gouzon, et ne dit rien des communes hors enclave de la communauté, Gouzougnat ou les Forges. Enfin elle est certainement en partie biaisée par les curiosités personnelles de l’auteur.

Cependant, tout en écrivant ce récapitulatif bien partiel, je me suis rendu compte combien nous pourrions gagner à marquer mieux ce que le passé nous a légué. Matérialiser sur le terrain les limites de l’enclave, en faire un chemin de randonnée, sont aujourd’hui tâches envisageables. Reproduire sur le site 40 informatique de la municipalité le tracé des fossés qui entouraient le bourg n’est pas non plus mission impossible. Nous pourrions surtout interagir, collecter nos observations sur un passé commun. Une trouvaille, en soi insignifiante, fera peut-être sens, une fois confrontée à celles de beaucoup d’autres. Ceci pourrait nous aider à retrouver un peu de ce que fut notre commune histoire.

Henri Buc (autorisation de publier)

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